dimanche 16 mars 2014

La performance comme sculpture

par Marc VAYER

Références, bibliographie (beaucoup des citations viennent d'Ordre sauvage)
  • ORDRE SAUVAGE Laurence Bertrand Dorléac Arts et artistes/Gallimard 2004 Violence, dépense et sacré dans l’art des années 1950-1960
  • Petit lexique de l’art contemporain Robert Atkins p 128 à 139
 Actionnisme p 36, art corporel p 45, Fluxus p 68, nouveau réalisme p 96, performance p 101
  • Les images du corps Découverte (la mécanique des corps) Gallimard Philippe Comar p 93 à 100
  • Beaux-Arts magazine (histoire de l’art XXe) Chap. 18 Le réel en question Chap. 20 L’art aujourd’hui
La performance comme sculpture
  1. Intro Flash 
  2. Le contexte de l’après-guerre 
  3. Gutaï, l’oublié 
  4. L’actionnisme viennois 
  5. Yves Klein 
  6. Joseph Beuys, le chaman 
  7. Fluxus, l’art total 
  8. Déchirures 
  9. Niki de Saint Phalle tire 
  10. Les nouveaux réalistes 
  11. Happenings 
  12. Art corporel & Performances (définitions)
Intro Flash

Pollock par Namuth
1947. Pollock crée le dripping : la peinture-coulure. La toile est sur le sol et le peintre autour, qui égoutte un pinceau large, ou une boîte trouée. L’art d’Occident se fondait jusqu'alors sur la maîtrise du geste ; Pollock ne maîtrise rien et c''est une vrai rupture dans la pratique de l'art pictural. L’auteur n’est qu’un vecteur d'une pulsion, d'un inconscient. Et la peinture n’est qu’une trace scénographiée.

Le saut par Klein
1960. Klein saute dans le vide. (Un morceau de toile garantit sa chute). Klein n’aspire qu’à l’immatériel. Il saute pour... l’objectif du photographe. "Et le rêve d’Icare n’est guère qu’un trompe-l’œil où Klein trouve sa vérité dans la métaphore : la peinture de l’espace."
 
Otto Müehl
Brus
Schwarzkogler
1964. Müehl invente l’actionnisme. C’est le mouvement le plus radical — le plus décrié — de l’après-guerre : la conscience malheureuse d’une Autriche amnésique. L’action, chez Müehl, est une liturgie collective où le corps fait théâtre. Il enduit ses modèles de flux pigmentaires qui les métamorphosent en tableaux vivants : la peinture comme sacrifice.

Brus peint son propre corps sous la menace d’objets suraigus : la peinture comme castration. Puis ce corps s’englue dans la matière picturale qui l’ensevelit à vif : la peinture comme torture.

Schwarzkogler préfère les techniques de la morgue. Ainsi finit-il, à force de bandelettes, par se changer lui-même en momie de gaze. Et l’action, fortement symbolique, où il mime sa disparition, se clôt sur une image vacante : le monde comme néant. En 1969, Schwarzkogler saute dans le vide pour de vrai. Tant de rêves étalés sur le pavé brut : le corps sans organes, l’art sans icônes, la vie sans Auschwitz. Crime de la peinture ?
Le contexte de l’après-guerre

La foi retrouvée dans le progrès et dans la société de consommation naissante domine l’histoire des années de l’après guerre, mais elle est également accompagnée par la guerre froide, les guerres coloniales, la guerre des sexes, les dérèglements écologiques, la machinisation, la déshumanisation, l’ennui.

Victimes de la bombe à Hiroshima
après le bombardement le 6 octobre 1945
La génération d'artistes qui a hérité de Marcel Duchamp convoque les puissances endormies, réinvente les mythes, les rituels et les détourne en mimant la tradition. Et cela encore plus fort dans les pays ayant épousés les idées de l’Allemagne nazie.
La violence désormais présente dans nombre d'actions artistiques naît en grande partie de l’écart qui s’est creusé entre un système de société qui va de plus en plus vite vers la rationalisation, la productivité et l’acquisition, et la conception archaïque des artistes encore tournés vers le fameux potlatch (un échange traité comme une perte somptuaire des objets cédés : leurs œuvres improductives, éphémères, immatérielles, non échangeables. (...)

Après la guerre, la violence des œuvres naît aussi de la réaction tardive mais radicale à la période maudite où le totalitarisme avait réduit l’art à servir l’ordre, la communauté, la nation ou la race.
la première violence des artistes de ces années-là relève de la destruction inouïe de la frontière que traçait le monde de l’art depuis des siècles : de la chute du cadre du tableau qui établissait les règles de la connaissance d’une œuvre (...)

Les artistes des années 1950-60 qui cherchent des solutions un peu partout dans le monde, doivent à Dada de le faire en toute conscience d’appartenir à une tradition du désastre, archi-critique, archi-inquiète et archi-énergique. Il faut songer à d’autres guerres et surtout à celle de 14-18, pour mesurer combien des générations peuvent avoir en commun le dégoût d’un monde qui s’est enfoncé dans l’horreur et naître dans l’urgence d’imaginer des contre-pouvoirs sans morts, des sociétés primitives, violentes encore mais dans l’espace sacré d’un art réinventé. (...)
Gravure Otto Di

Gutaï

« Le grand spectacle du désastre, l’incendie, la décomposition » (manifeste dada) : des artistes japonais vont les imaginer à nouveau dans la lignée active de Dada et après l’entrée en scène des membres pionniers de Gutaï, dès 1954 dans la région du Kansaï, à l’écart de Tokyo.

manifeste dada Hogo Ball 1916 : http://fr.wikisource.org/wiki/Manifeste_DaDa 
Shigara 1955


• Gutaï veut dire concret, en intégrant les notions d’outil, de matériaux et de corps.

• « Les œuvres sont des cris poussés par la matière ».

• La censure va s’exercer officiellement contre  :
« les œuvres munies d’un mécanisme produisant un bruit désagréable ou trop intense ; les œuvres dégageant des mauvaises odeurs, ou susceptibles de se décomposer ; les œuvres utilisant des matériaux tranchants ou susceptibles de provoquer des accidents ; les œuvres donnaient des sensations désagréables aux spectateurs susceptibles d’enfreindre la réglementation sur l’hygiène publique ; les œuvres utilisant du sable ou du gravier posé à même le sol, ainsi que celles utilisant des matériaux risquant de salir ou d’endommager le sol ; les œuvres directement suspendues au plafond ». 
L’inventaire est assez fidèle à la définition de l’anti-art, dont les manifestations se multiplient sous la poussée du groupe Gutaï.


Gutaï l’a déjà fait !

À l’attention des jeunes artistes, pour qu’ils ne répètent pas inlassablement ce qui s’est déjà fait !
par Michel Batlle

Tirer à l’arc des flèches de couleur sur une immense toile
Creuser des trous dans la terre et les éclairer
Peindre à l’aide d’un canon bourré de peinture émaillée
S’enfermer dans un sac pendu à un arbre Traverser des écrans de papier
Lutter de tout son corps dans du béton avant sa prise
En juillet 56 Gutaï l’a déjà fait !

Peindre à l’aide d’un vibreur électrique
Faire une toile de 100m de long qui se perd dans les arbres
Confectionner un manteau d’ampoules éclairantes
Téléguider un jouet qui inscrit une ligne
Lancer des cerfs-volants en tant que peintures abstraites
Peindre avec les pieds
En juillet 56 Gutaï l’a déjà fait !

Piéger l’air dans du plastique en tant que sculpture
Coller des miroirs dans un tableau
Peindre avec un arrosoir
Créer un cadre de toile pour observer le ciel comme un tableau
Faire de la peinture-action à l’acide sur du métal
Accumuler des bidons d’huile
En juillet 56 Gutaï l’a déjà fait !

Exposer un panneau couvert de graffitis
Exposer des draps peints monochromes
Exposer des piquets alignés dans le sol
Exposer des ronds de fumée
Exposer des signaux d’alarme de passage à niveau
Exposer des sculptures rondes gonflées à l’hydrogène
En juillet 56 Gutaï l’a déjà fait !
Jackson Pollock par Namuth
Jackson Pollock / Number 11


• N’oublions pas que Pollock avait été pris en photo par Namuth dans artnews et que ces photos étaient diffusées largement dans le monde entier. Expo de Pollock au japon en 1951. 

Jackson Pollock par Hans Namuth (1950)




Karl Schwitters / Then 1941
• Dans son livre « Malaise dans la civilisation », Freud avance que notre civilisation est liée à une dévalorisation du sens de l’odorat et à un radical dégoût des odeurs fortes. 30 ans après, c’est dans un esprit aussi sceptique que les japonais s’intéressent aux déchets en sachant qu’ils ont déjà été utilisés par Dada et par Schwitters dès les années 20.

Hamilton 1956
• Grande différence avec le pop-art (Hamilton en Angleterre). « Le pop art est : populaire (conçu pour un grand public, éphémère (solution à court terme), consommable (facilement oublié), bon marché, fabriqué en série, jeune (destiné aux jeunes), spirituel, érotique, fantaisiste, glamour, lucratif. »


• Grande différence avec le manifeste Dada : « L’art est une chose privée, l’artiste le fait pour lui ; une œuvre compréhensible est un produit de journaliste ».

Katuma Barnes 2003
• « Ce qui devait se passer sur la toile n’était pas une image, mais un événement » (Harold Rosenberg - action painting).



L’actionnisme viennois

http://www.scls.lib.wi.us/mcm/history/82nd/photos_1.html

Au regard de la seconde guerre mondiale, on remarquera la similarité entre l'Autriche et le Japon qui "génère également des avant-gardes ultra radicales et néoprimitives, frayant à la fois avec la tradition et une modernité crue, scientifique et urbaine. "

Otto Müehl appelle à Vienne à la purification d’un monde dont il a vu le bout de l’enfer, enrôlé dans les armées nazis au fond des Ardennes. Là, dira-t-il « où des humains se retrouvent mortellement mêlés au matériau ». Ses premières « actions matérielles réelles », il les aura vécues pendant la guerre en voyant « des cadavres coincés dans la boue sous les chenilles des tanks ». 
On ne comprend rien à ses actions futures si l’on oublie de les remettre en perspective, dans un contexte international où il n’est pas le seul à jouer avec la violence comme avec le feu, exagérant les actions pour réveiller le public, délivrer les pulsions et, finalement, pour changer le monde après avoir préconiser sa contrition.

« La vue qui s’offrait à moi était celle d’un train fantôme : de nombreux morts, gelés et recouverts de neige, c’était un conte d’hiver, beau et effroyable. Un homme était à genoux, un rouleau de câbles téléphoniques sur le dos, il se tenait tout droit contre un arbre et regardait devant lui avec des yeux vitreux. Beaucoup de retrouvaient gelés dans l’attitude où la mort les avait surpris. Je tombai soudain sur une tête sans corps, rien ne m’effrayait pus, des mains et des pieds arrachés, des corps déchirés, ouverts, du sang et de la chair gelés, présentation kitsch sur fond blanc, cruels arrangements pour la mort des héros, ce méchant bois de sorcières, envoûté, rouge et blanc, fut l’événement artistique le plus fascinant que j’aie jamais vécu et que je dus vivre jamais. » 
Otto Müehl
Otto muehl aktion XIX 1965
Actionnisme 
Mouvement viennois précurseur de l’art corporel, apparu vers 1960. Günter Brus, Otto Müehl, Hermann Nitsch, Arnolf Rainer, Alfons Schilling et Rudolf Schwarzkogler ont mené une réflexion sur des thèmes freudiens par le biais de mises en scènes ritualisées. Travail, placé sous le signe de la violence érotique, recourait à des substances physiologiques telles que le sang, le sperme et la chair. Le 16 mars 1963, Alfons Schilling commençait son “action” en présentant au public un agneau écorché baignant dans son sang. Les viscères étaient disposées sur un linge blanc. Après avoir aspergé de sans le public et l’espace d’exposition en faisant tournoyer l’animal tenu par une patte, l’artiste a jeté des œufs crus sur les murs et s’est mis à mastiquer une rose. Bien souvent, les actionnistes accomplissaient leurs rituels devant un appareil photo, hors de la présence du public.
Petit lexique de l’art contemporain p 36
(...) L’agneau mort

Avant l’action, Nitsch avait distribué un tract prévenant le public qu’il s’agissait de la mise en scène de pulsions élémentaires, de corps maltraité, de sang, de nourriture, de cadavre d’animal, d’odeurs, de violences et de sacrifice : « je vais me mettre en état d’excitation physique et psychique par des actions et pénétrer jusqu’à l’expérience de l’excès originaire. Je répands, j’asperge, je souille l’espace avec du sang et je me roule dans les flaques de couleur. Je m’étends tout habillé sur un lit. On remplira et on versera sur le drap boyaux, pis de vaches lacérés, cheveux, eau chaude (sérum), etc. Je serai lavé de toutes les sécrétions avec de l’eau tiède et du coton. J’accroche un agneau mort au plafond de la cave, le laisse se balancer à travers la pièce, et frappe, piétine, gifle, lapide, fouette, mords, répand le corps, l’éventre, palpe ses entrailles mouillées. Je donne mon corps à répandre publiquement. »
Une demi heure après le début de l’évènement, les forces de l’ordre investissent les lieux et font évacuer l’atelier (300 personnes environ, selon les estimations de la police). L’action de Müehl, qui devait défenestrer du quatrième étage un buffet de cuisine plein de confitures multicolores, n’a pas eu le temps d’être exécutée. Lui et Nitsch sont condamnés à quatorze jours de prison ferme (...)

Yves Klein
 
Untitled blue monochrome (IKB 82), 1959. Dry pigment in synthetic resin on canvas, mounted on board, 36 1/4 x 28 1/4 x 1 1/4 inches. Solomon R. Guggenheim Museum, Gift, Estate of Geraldine Spreckels Fuller 1999. 2000.27. Yves Klein © 2003 Artists Rights Society (ARS), New York/
ADAGP, Paris.
Volontiers mystique, Yves Klein affiche dès le début sa volonté de renouer avec un paradis perdu en ne faisant jamais nettement la distinction entre le monde qu’il imagine et celui des faits. Ayant un beau jour signé le ciel pur comme sa première œuvre d’art, à l’infini il voudra l’attraction de l’air et du vide tout en s’attaquant sporadiquement à la matière et ses engluements. (...) Il faut aussi en revenir au zen, dont la connaissance est approfondie par l’artiste au japon, où il a vécu, et donc, forcément à Hokusaï. (...) 


Pollock / Kazuo

Entretien Ben et Michel Batlle paru dans le N°3 de « Aborigènes et Exotiques « - Toulouse - juillet 1986
M.B. - On parle en France toujours et encore de YVES KLEIN en tant que grand novateur de la peinture, surtout à propos de ses monochromes. D’autres que lui avaient déjà amorcé ce virage de la densité de la peinture et de l’hyperabstraction. Penses tu qu’il ait copié ses monochromes chez Gutaï ?

BEN : Il était au Japon en 1955 pour passer sa 5 ème dan de judo, il vit l’exposition Gutaï d’Osaka dont les monochromes de TANAKA et quand il revint à Nice il en parla à Arman et à moi-même et c’est en 1956 qu’il réalisa ses premiers monochromes qui à la différence de ceux de Tanaka n’étaient pas des toiles de couleurs mais des tableaux peints. Par ailleurs, ses anthropomorphies font penser à Gutaï dans le sens ou les japonais travaillèrent avec leur corps. Et n’oublions pas non plus que Pollock lui même écrit son intérêt devant les travaux du groupe Gutaï. Quant à l’influence du Gutaï sur le happening, j’en suis moins sûr. Pourtant le concert de silence de John CAGE ne date que de 1954-55 et New-York et Osaka étaient en relations coutumières (...)

Anthropomorphies / Klein
(...) Les femmes pinceaux, œuvrant devant le public médusé, empruntent à la violence primitive du saint suaire ajouté à la volonté maniaque de Klein de régner en despote sur les choses et les corps. A l’effroi qui l’avait saisi après ce fameux soir de juin 1961, alors qu’il avait réalisé des empreintes de Rotraut, sa femme, avec du sang de bœuf — il les brûlera au petit matin — succède le vertige su sang reconduit en bleu et s’imprimant sur le corps des modèles mais surtout jamais sur le sien, gardé de la souillure. Il déclare ainsi n’avoir jamais voulu de “barbouiller le corps” en devenant un “pinceau vivant”. « Il ne me viendrait même pas à l’esprit de me salir les mains avec de la peinture » (...)
Joseph Beuys, le chaman

Joseph Beuys : How to Explain Paintings to a Dead Hare, Photo from Performance on Nov. 26, 1965
Son retour spectaculaire sur la catastrophe n’a de sens qu’en souvenir du monde de violence auquel il a participé lui-même et son identification à la figure du Christ doit guérir à la fois son identité et celle de l’Allemagne toute entière.
(...) Après le triomphe de l’abstraction qui évite le retour sur le passé et la référence à toute réalité génante, la nouvelle génération d’artistes allemands adhère à des projets radicaux.
Alors qu’il fait des études au lycée où il manifeste un grand intérêt pour les matières scientifiques (tout en jouant dans l’orchestre de son école), la légende dit encore qu’il sauve en 1938 un catalogue de l’œuvre de Wilheim Lehmbruck (1881-1919) de l’autodafé qui se prépare dans la cour de son lycée.


Toute l’œuvre reproduite semble lui dire que « tout est sculpture ».

Joseph Beuys, enrôlé volontaire dans la Wehrmacht en 1941, après avoir reçu sa formation générale puis en tant qu’équipier-radio, est envoyé sur le front russe avec pour mission d’attaquer des cibles ennemies. Le lendemain il est reçu comme blessé grave à l’hôpital militaire de Kruman-Kemektschi, d’où il sort, le 7 avril. 

Renvoyé sur le front de l’Ouest la même année comme parachutiste, il est à nouveau grièvement blessé. 

Sa biographie officielle se concentre sur des événements clés : avant tout sur son accident d’avion en Crimée durant la Seconde Guerre mondiale, après lequel il aurait été recueilli et soigné par une tribu de Tatars qui l’auraient enveloppé d’une couverture de feutre après l’avoir enduit de graisse et nourri de miel. Il faudra longtemps pour que soit dévoilé le romanesque de ce récit construit pour sa perfection symbolique, afin d’asseoir une œuvre singulière qui reprend constamment les ingrédients fondamentaux de sa guérison, le feutre, la graisse, le miel - il ajoutera le cuivre comme conducteur d’énergie.

Fluxus, l’art total

Nam Jun Paik Video Flag Y 1985 84 TV sets, 3 video disk players, 8 electric fans, plastic frame 74.5 x 138.5 in.
yoko-ono-film-cut-piece
Robert Filliou (1926-1987), Musique télépathique n° 5, 1976-1978, installation of metal and cardboard, Pompidou Center, Paris.

George Maciunas. Nueva York, 1964 Fotos: Peter Moore
John Cage with master printers Pam Paulson (left) and Paul Mullowney (right).
Spoerri / FRAC Pays de la Loire
Fluxus
George Maciunas forge en 1961 l’appellation Fluxus. Le terme Fluxus renvoie au flux de la création et de la destruction, et plus généralement au flux de la vie, mettant l’accent sur le transitoire.
Fluxus n’a jamais été un groupe constitué, même si certaines personnalités rassemblées autour de Maciunas ont joué un rôle déterminant. Disons que c’est un état d’esprit. 
Chez les artistes Fluxus, les préoccupations sociales passent avant les considérations esthétiques. Ils veulent casser les schémas de comportements bourgeois. les premières interventions Fluxus, spectacles de rue et concert d’anti-musique électronique, sont l’occasion de libérer une énergie agressivement libidinale dans une ambiance anarchique typique des années 1960. 
Fluxus ne cherche pas à réhabiliter la culture pop accordée à l’aléatoire. Le déroulement d’un événement Fluxus n’est pas déterminé à l’avance. Il fait la part du hasard et des circonstances. Les activités de Fluxus ne se limitent pas à ces séances musico-théâtrales. des artistes Fluxus, notamment Ulay Johnson, inaugurent le mail art ou art postal. Ils réalisent aussi des films et des éditions.
L’originalité iconoclaste de l’esprit Fluxus se perpétue dans certains aspects de l’art conceptuel et des performances.
1960. George Brecht, Dick Higgins, Geoge Maciunas, Yoko Ono, Nam June Paik, Joseph Beuys, Ulay Johnson, Ben, ...
 Petit lexique de l’art contemporain p 45

4'33'' pour piano John Cage 1952


Le mouvement, adoptant l’idée du « hasard en conserve » de Duchamp et de l’indéterminé de Cage, donnera naissance à une véritable collaboration artistique reliant l’Europe à l’Amérique. Il comptera dans ses rangs Dick Higgins, Henry Flynt, Nam June Paik, Robert Filliou, Ben, Ben Patterson, Jean Dupuy, Daniel Spoerri, Vytautas Landsbergis (ancien président de la République de Lituanie) et Yoko Ono, qui exercent encore aujourd’hui une grande influence sur leur pratique artistique.
Fluxus ou le public changé par l’art, un autre dialogue avec lui, non plus fondé sur la sujetion, mais sur la participation et la non violence.


Yoko Ono Cut Piece (1965)


Valie Export / genital panic / 1969
On trouve déjà dans les actions de Fluxus les ingrédients de nombreux événements qui marqueront les années postérieures ; l’interpellation du public, les destructions objets réputés bourgeois, l’esprit de farce et de défoulement, l’autodérision et la critique généralisée, en particulier de la notion de Beaux-Arts et enfin, l’invitation à devenir intelligents.

A leur façon, ces actions annoncent la destruction qui allait se généraliser sur les scènes de rock quelques années plus tard, avec les Who en particulier.


voir Cliche Penny Smith "London Calling Album Cover", 1979 sur http://mcmarco.tumblr.com/post/68078117749

Déchirures
(...) Une nuit de 1949, Raymond Hains se fait arrêter rue de Rennes en train de décoller une affiche lacérée sur laquelle une déchirure noire rappelle l’idéogramme du mouvement pacifiste de Gary Davis. Il en informe son ami Jacques de la Villeglé, qui se joint bientôt à sa «promenade-cueillette». Les deux amis renouvellent brutalement la figure de l’artiste et sa panoplie, génie, retraite, métier, atelier - Hains dira : c’est la rue. Une manière de tourner le dos à la révolte individuelle de l'art informel dominant au profit d’une intégration critique du monde « de l’usine, de l’objet de série, de la publicité et des mass média, le monde de la consommation et de la grande ville » livrée au Lacérateur anonyme, ivre de chair urbaine. « Tel le corsaire malouin, il pressentira la prise, car il connaît dans le lacis des voies, celles où s’implantent les chantiers de constructions, ayant repéré les maisons expropriées ou condamnées et livrées à brève échéance au bulldozer. » (...)
Raymond Hains / Palissade


Braque violon 1913

Picasso / Nature morte à la chaise cannée 1912
Duchamp /Cadeau, fer à repasser garni de clou sur la semelle, 1921
(...) Les objets manufacturés sans attribution esthétique particulière (porte bouteille) avaient été imposées au musée, au début du siècle, grâce au savoir-faire de Marcel Duchamp qui les fétichisait sans violence : ils auraient pu réintégrer l’usine après leur intronisation artistique. 
Les affiches lacérées, elles, ne peuvent avoir la même destinée : objets détournés de leur fonction par la déchirure et le décollage, elles ont définitivement perdu leur signification originelle, leur efficacité, leur raison d’être productive ou propagandiste. Quant aux nombreux collages et incrustations de matières étrangères, desquels furent rapprochées les affiches, l'exercice relevait d’un anticonformisme qui renouvelait la peinture et la mettait en valeur sans pour autant lui porter atteinte. Les artistes qui s’approprient les affiches renoncent justement à la peinture, en imposant l’idée que la réalité est à la portée de tous et qu’il serait possible de la regarder, à la place de la peinture, comme un tableau. (...)

Villegle
Niki de Saint Phalle tire
Nikki de St Phalle / tirs / 1961
Nikki de St Phalle / tirs / 1961

(...) «Tout cela ressemble formellement aux peintures abstraites expressionnistes que l’on faisait à l’époque”, dira Niki de Saint Phalle à Pontus Hulten, évoquant sans le nommer son côté drippings et la référence à Pollock qu’elle a découvert comme le reste de la peinture américaine, en 1959. Encore faut-il ajouter qu’il s’agit pour elle d’un assemblage d'objets symboliques et d’une action mécanisée. La transgression n’a pas échappé aux observateurs. Elle tire souvent en pantalon, insistant sur son côté androgyne, et à partir d’un certain moment dans une tenue blanche qu’elle ne porte que pour ces actions, comme une vestale, dira-t-elle. En Italie, l’édition du dimanche du Carrière la représente en Calamity Jane, tirant l’air rêveur sur des œuvres qui explosent, sous le regard étonné d’un enfant et la mine réprobatrice d’un homme qui ressemble étrangement à son mari de l’époque.
De fait, l’attitude qu’elle se donne est frondeuse et il n’est qu’à voir les photos qu’elle choisit pour présenter l’exposition « Feu à volonté » à la galerie J à l’été 1962. Elle est en tenue de travail, en pantalon et chemise tâchés de peinture et de plâtre, armée de sa carabine et visant. Un tableau est présenté, avant et après les tirs, encadré façon Napoléon III, vierge puis maculé. Sur la dernière image, l’artiste pose les bras croisés, l’air satisfait et légèremet amusé. Le commentaire du carton ne dément pas son intention de choquer, où il est question d’un geste d’assassin ou de mari trompé qui devient une invitation au voyage, « dans un monde d’étranges merveilles où le sang cède aux plus riches couleurs, où l’exposition suscite la forme neuve, où la blessure est poétique »... (...)
Niki de Saint Phalle dira à Maurice Rheims que son travail a toujours été sa façon d’exprimer ses problèmes “puis de les exorciser, comme les noirs avec les fétiches, ...”.


Rauschenberg tirs 1961

p 224 & 225, // entre Rauschenberg et Niki de Saint Phalle
(...) Ce faisant, elle aura par exemple clairement détourné le fusil colonial contre d’autres cibles — le symbole n’a pas échappé aux observateurs. (...)


Les nouveaux réaliste
 
Nouveau Réalisme

Le critique Pierre Restany a lancé le terme Nouveau Réalisme dans un manifeste du 16 octobre 1960. le 27 octobre, il fondait le groupe du même nom au domicile d’Yves Klein. Pierre Restany avait perçu un dénominateur commun entre les démarches fort différentes de divers artistes réunis sous cette étiquette : “un geste fondamental d’appropriation du réel”. Sa définition du Nouveau Réalisme tenait compte de la diversité des motivations.Le groupe en tant que tel a existé tris ans, jusqu’à la date de la dernière exposition collective en 1963. Il a manifesté une grande inventivité dans ses techniques d’expressions, depuis les séances publiques d’Yves Klein employant des “pinceaux vivants” jusqu’aux accumulations d’Arman, en passa Tinguely et les personnages de Niki de Saint Phalle. dans une espèce de quête métaphysique, Yves Klein a poussé l’appropriation du réel jusqu’à celle du vide et du ciel.
Petit lexique de l’art contemporain p 96

César : « Il faut poétiser la machine, empêcher sa domination, en découdre avec elle, la rendre inutile à autre chose que de l’art ».

César / compression

Arman / le plein 1960
Tinguely
Portrait d’un terroriste
(...) 
Toutes les matières auront été sacrifiées par eux sur l’autel de l’art, toutes déifiées à leur façon, toutes transcendées, toutes détournées de leur fonction originelle. Duchamp aura, dans cet esprit influé durablement mais sans empêcher les autres artistes d’ajouter à l’objet manufacturé la marque de leur désir de le détourner, au gré des situations et des lieux. Dans une nouvelle société de loisirs massifiés dominés pâr la machine, par définition vouée à la perfection et à la standardisation, l’œuvre d’artistes du Nouveau Réalisme confirme une ligne de fuite : toute machine est paramétrée par l’homme et donc passible d’accident, d’aléa, de poésie et de beauté. En écrasant les objets mécaniques de l’industrie, César, Arman et quelques autres démystifient le monde contemporain en se l’appropriant, dans la tradition dadaïste. Les déclarations des nouveaux réalistes en témoignent. En 1961, (...) Eux revendiquent « une troisième position du mythe : le geste anti-art de Marcel Duchamp se charge de positivité ». Ce ready-made que Dada avait surtout chargé d’esprit de polémique voire de révolte, au maximum de leur réconciliation avec le monde ils le déchargent de sa négativité pour le faire entrer dans un «répertoire expressif» qui aidera « une façon plus directe de remettre les pieds sur terre». En outre, la machine n’a plus le même statut que dans les années 1910-1920. En lui faisant jouer le rôle d’un artiste, Tinguely fait d’elle la servante d’un grand jeu de hasard et d’échange improductif. (...)
Tinguely metamatic 1959
(...) Antimachines
La meta-matic n°12 produit quelque 3800 kilomètres de peinture, rendue d’autant plus amusante qu’elle s’appelle Le grand Charles, en référence non déguisée au chef de l’État. Le succès est important, même si la critique est partagée : de cinq à six mille visiteurs, parmi lesquels une bonne partie du monde de l’art et les chefs de file de la modernité, Jean Arp, Marcel Duchamp, Hans Hartung, Roberto Matta, Man Ray ou Tristan Tzara, qui aurait déclaré que l’on assiste à « l’épilogue de la peinture [...], aboutissement triomphal de quarante ans de dadaïsme ». (...)

 
Hartung /Composition 1960

Matta / melodia melodio

Happenings
Denise de Casabianca /JJ. Lebel / 120 mn dédiées au divin marquis/ 1966

Denise de Casabianca /JJ. Lebel / 120 mn dédiées au divin marquis/ 1966
( ...) L’hommage à Sade de Lebel est évidemment aussi du côté de la réorganisation du monde mais il insiste sur le jeu et le hasard, échappant au programme originel et surtout quand l’histoire bascule : au moins au moment où le transsexuel Cynthia, dos au public, se retourne face à la salle qui le dévore des yeux, autrement dit quand le tableau vivant s’anime et quand le strip-tease fait figure d’énigme et de secret défendu et prometteur. Là encore, il n’y en a quasiment jamais dans Sade, car le corps, chez lui, n’est pas un secret mais une pratique. L’événement qui entraîne le happening vers son étrange dénouement concerne donc la figure ambivalente de Cynthia, initialement vêtu en religieuse et qui défend l’idée de faire sur scène ce qu’il ne peut pas faire dans sa vie sociale de travesti professionnel à Pigalle : montrer qu’il est à la fois un homme et une femme.
Dans les Entretiens (de 1967), Duchamp répond à Pierre Cabanne, qui lui demande ce qu’il en pense, que les happenings lui plaisent beaucoup parce que « c’est quelque chose qui s’oppose carrément au tableau de chevalet”.
Pierre Cabanne enchaîne : « Cela colle tout à fait à votre théorie du regardeur.»

Marcel Duchamp : « Exactement. Les happenings ont introduit dans l’art un élément que personne n’y avait mis : c’est l’ennui. Faire une chose pour que les gens s’ennuient en la regardant, je n’y avais pas pensé ! Et c’est dommage parce que c’est une très jolie idée. C’est la même idée, au fond, que le silence de Cage en musique : personne n’avait pensé cela ». (...)
Mai 1968 / Paris

Rue Gay-Lussac / Paris mai 1968
(...) Un an plus tard. Mai 1968 rend plausible et désormais inutile l’action des artistes à qui l’histoire donne raison. Le théâtre est dans la rue. La révolution fait office de la meilleure dramatisation qui soit : elle est partout prenante, intense et décuple le public des événements qui ont été sou∞vent comparés à des « happenings permanents » - l’expression avait d’ailleurs été employée deux ans avant, en 1966, dans le journal français Arts et loisirs qui, à propos du mouvement Provo hollandais, entrevoyait les prémices d’une explosion en France. Evelyne Sullerot et Georges Belmont s’y montraient sceptiques sur les raisons d’être d’une société bloquée, où la bourgeoisie n’avait même plus la « vertu de faire semblant de croire en ses hypocrisies et ses tabous ». « En vérité, en vérité, écrivait Georges Belmont, tout cela, avant de finir bien, commencera par tourner mal. Nous avons de beaux happenings en perspective. » Deux ans plus tard, le rapprochement s’impose encore plus nettement, ce fameux matin du 11 mai 1968 où la rue Gay-Lussac s’emplit d’épaves de voitures encore chaudes qui rappellent aussi bien Week-End (1968) de Godard, où tout finit mal avant même de commencer - par un long travelling sur des centaines d’accidents de voiture — que les manipulations de César, les machines déglinguées de Tinguely ou bien un happening, Déchirex de Lebel, par exemple, où, le 25 mai 1965, le public s’est attaqué à une quatre-chevaux Renault pour la mettre en pièces à coups de pioche et de hache. (...)
Art corporel & Performances (Définitions)

Art corporel
Apparenté à l’art conceptuel et précurseur direct de la performance, l
Si l’art corporel est généralement motivé par des pulsions masochistes ou par une quête spirituelle, il revêt des formes très diverses. En 1971, Chris Burden s’est fait tiré dessus par un ami armé d’une carabine. Gina Pane se tailladait avec des lames de rasoir, Terry Fox a tenté de se placer en lévitation après avoir construit un environnement “surnaturel”, Gilbert & Georges se sont métamorphosés en sculptures vivantes. Marina Abramovic et Ulay ont marché sur la Muraille de Chine en partant chacun d’une extrémité, pour se rencontrer au milieu et se séparer définitivement après des années de collaboration. Dans leur grande majorité, ces artistes mettent leur corps en danger et travaillent à la lisière de la vie et de la mort.
Parmi les précurseurs, on peut citer Marcel Duchamp déguisé en Rrose Sélavy, Yves Klein utilisant des pinceaux vivants (des femmes enduites de pigment bleu) pour ses anthropométries ou Piero Manzoni enveloppé dans des bandelettes Velpo vers 1960. L’art corporel reflète la société de son temps, qui a vu toute une génération se livrer à des expériences avec les substances psychotropes tot en revendiquant une plus grande libeté sexuelle. 
Années 1960-70. Vito Acconci, Chris Burden, Terry Fox, Ana Mendieta, Gina Pane, Marina Abramovic et Ulay, Gilbert & Georges, Stuart Brisley, Rebecca Horn,...

Petit lexique de l’art contemporain p 45
Performance
Le mot performance, directement emprunté de l’anglais (ou il a le sens de spectacle, de représentation), sert aujourd’hui à désigner toutes les activités artistiques qui se déroulent devant un public et font intervenir la musique, la danse, la poésie, le théâtre ou la vidéo, ou une quelconque combinaison de ces ingrédients. Alors que ce terme est entré récemment dans le vocabulaire de l’art contemporain, beaucoup l’appliquent rétroactivement à d’autres modes d’art corrporel, happening, intervention Fluxus.
Les performances de la fin des années 1960 relevaient essentiellement d’une démarche conceptuelle, et ne ressemblaient guère au théâtre ni à la danse. Elles duraient de quelques minutes à quelques jours et n’avaient lieu qu’une fois. Comme beaucoup d’autres artistes qui pratiquaient alors la performance, ils ont abandonné ce mode d’expression pour la création d’objets, peintures ou sculptures. Vers la fin des années 1970, la performance a changé de nature. Refusant l’austérité de l’art conceptuel et son habituel mépris de la culture populaire, les artistes nourris de la télévision depuis leur plus jeune âge ont transporté la performance dans d’autres lieux et l’ont diffusée par la vidéo ou le cinéma. On assiste souvent à des spectacles élaborés, associant la danse, la musique, la pantomime ou le théâtre à diverses installations.
 
Depuis la fin des années 1960. Vito Acconci, Robert Wilson, Meredith Monk, Chris Burden, Laurie Anderson, Terry Fox, Jean Fabre, Gilbert & George, Rebecca Horn, Joël Hubat, Suzanne Lacy, Gina Pane, ... 

Petit lexique de l’art contemporain