mercredi 7 octobre 2015

Le graphisme d'information [selon R. S. Wurman]

Toujours issus du livre édité par Taschen "information graphics" [disponible au CDI du lycée], des exemples illustrent le système d'organisation de l'information de R.S. Wurman.
L'architecte et designer Richard Saul Wurman étudie la transmission efficace des informations depuis les années 1960. Partant de "l'explosion des données" survenue avec le développement des technologies informatiques, il a inventé le terme "architecture de l'information". Dans de nombreuses publications, il a expliqué les moyens de présenter clairement des relations complexes à l'aide d'un design structuré.
Le texte ci-dessous reprend son système de structuration de l'information, qu'il a baptisé de l'acronyme "LATCH" ; L comme Lieu, A comme Alphabet, T comme Temps, C comme Catégorie, H comme Hiérarchie.
LIEU
Les éléments sont organisés de façon chronologique


Tous les événements se déroulent à un certain endroit. Pour trouver son chemin, il faut s'orienter dans l'espace : où ont lieu les choses ? Le fait d'organiser les objets de façon spatiale permet d'avoir une vue d'ensemble et de placer des événements simultanés dans un espace.
La cartographie est la science qui représente les informations géographiques. Pendant des siècles, elle a cherché à savoir comment représenter la courbe de la Terre sur papier. Les cartes topographiques s'attachent à la représentation correcte de la surface de la Terre, alors que les cartes thématiques viennent compléter les informations spatiales avec d'autres données (The Geotaggers' World Atlas, p.185).

The Geotaggers' World Atlas, p.185
Contrairement aux images satellite qui offrent une photographie exacte, les cartes ont recours à des moyens graphiques pour présenter des généralisations sur le monde. Les cartes sont sélectives et standardisent des éléments types, c'est là toute leur force. Même si elles apportent des informations simultanées, certaines introduisent un élément temporel : par exemple, dans le contexte d'un voyage, la traversée d'un espace peut être décrite selon une chronologie (Flight AF447, p.129).

Il y a encore peu, les cartes étaient le principal support de stockage de données géographiques ; un changement fondamental s'opère cependant grâce à l'ère numérique. Les données d'ordre spatial peuvent désormais être stockées dans des bases de données, lesquelles sont le point de départ pour des visualisations complexes.
Par ailleurs, au lieu de placer des données sur des cartes, certains travaux les répertorient par nom de pays, ce qui renvoie à la carte mentale du monde que nous avons tous en tête (A_B_ peace & terror etc., p.101).

La visualisation des informations figurant dans les cartes va au-delà des espaces réels, car il est possible d'illustrer aussi des espaces imaginés. Les cartes heuristiques montrent l'organisation spatiale des relations dans l'imagination. Par exemple, dans sa carte de l'Islande, Hugleikur Dagsson prend les contours de l'île comme modèle d'image mentale pour sa terre natale (The Land of Ice, p.188).
 
Hugleikur Dagsson the land of ice
Esther Aarts assemble des noms de rues à connotation violente pour obtenir la forme d'un crâne (Map to Ghost Town, p.154).

L'organisation des informations par lieu ne se cantonne pas aux cartes. Les organisations spatiales se rencontrent aussi dans des dessins schématiques représentant des installations techniques ou des phénomènes naturels comme des volcans souterrains (cf. Sleeping Giant, p.177).

yellowstone sleeping giant (National geographic) illustration Hernan Canellas
Le corps humain sert aussi souvent de schéma d'organisation spatiale. La médecine est divisée en spécialisations par rapport aux parties du corps, lesquelles possèdent leur propre valeur monétaire (Body Parts, p.112).

Peter Grundy pour ESQUIRE 2006
La géométrie, en tant que discipline mathématique, est également concernée par les organisations spatiales, car elle repose sur la projection de structures multidimensionnelles sur une surface en deux dimensions (Real Magick in Theory and Practise, p.169. Le site de Peter Crnokrak : The luxury of protest).

Voir : http://www.artcom.de/en/projects/project/detail/living-carthography/
Voir : http://www.torgeirhusevaag.com/english/prosjektsider/kart/medalland_06.html

TEMPS
Les éléments sont organisés de façon spaciale


Le temps qui passe crée une séquence fixe. Le temps offre un cadre organisationnel simple car tout le monde sait comment se déroulent des événements sur la durée. Les chronologies sont des supports classiques pour écrire l'histoire et montrer l'évolution de faits. Aussi, l'organisation des événements dans des chronologies permet à chacun de créer sa propre version de l'histoire (Andy Warhol- Chelsea Girls, p.217), voire de prédire l'avenir (The Afghan Conflict, p.304).

Les chronologies sont des outils essentiels pour les analyses scientifiques et sociologiques. Des mesures spécifiques sont relevées régulièrement pour des phénomènes complexes comme la météorologie ou les fluctuations de la Bourse. La représentation graphique d'une série de mesures est la méthode la plus intuitive pour analyser ce type de données (CNN.com Traffic Analysis, p.291).

Les chronologies servent à décrire des phénomènes et à révéler des tendances, sans pour autant en expliquer les causes. Dans les cultures occidentales, le temps est généralement considéré comme linéaire et pointant vers l'avenir. Dans sa représentation graphique cependant, une chronologie n'est pas forcément une ligne droite, elle peut aussi être courbe (Motown's 797 Number One Hits, p.276) ou circulaire (Cosmic 740 - Art for Geeks, p.223).

Les travaux qui suivent une séquence stricte appartiennent aussi à ce chapitre. L'ordre du texte dans un roman est séquentiel et non réversible de façon aléatoire, tout comme une pièce de théâtre obéit à une composition dramatique. Cette section prend également en compte les types d'analyse de données apportant une illustration graphique de ce type de séquence prédéfinie (TextArc, p.299).





Series of posters 2009 / Paul Butt
En outre, le temps peut servir à structurer des sujets complètement différents: Daily Waterfall (p.226) prend une journée type pour montrer la consommation habituelle d'eau.
( voir : http://francescofranchi.tumblr.com/)

Les diagrammes organisationnels sont un autre type d'infographie basée sur le temps. Ils décrivent le déroulement de processus (How Books are Made, p.244) et en informatique, ils peuvent aussi montrer la séquence d'opérations nécessaires pour résoudre un problème. Contrairement aux chronologies continues, ils peuvent bifurquer et montrer des séquences avec plusieurs résultats ouverts. Ils peuvent aussi aider à prendre une décision complexe (50 You Need a Typeface?, p.288 et Guess Who? Character Identification Chart, p.248).

La visualisation circulaire de processus tire son origine de la biologie et du cycle de vie des organismes vivants (Swine Flu Life Cycle, p.294). Plus tard, ce concept a également été appliqué aux produits commerciaux, notamment pour les aspects relatifs au développement durable. La vie entière d'un produit, de la fabrication à la mise au rebut, peut être considérée comme un cycle (Biofuel, p.220).




Voir le travail de Nathalie Miebach : http://craftcouncil.org/magazine/article/composing-chaos#

LA- NYC / Design Minh Anh Vo, Victor Schft (Papercut)

Voir le site de Jorinde Voigt : http://www.jorindevoigt.com/


CATEGORIE
Les éléments sont divisés en classe

Les catégories marquent un ordre. Un volume important d'informations est facilement structuré en faisant une distinction par type et en recherchant les caractéristiques communes. Les chiffres économiques clés peuvent être organisés par secteur d'activité ou par groupe démographique (Economy Map, p. 334 et 2009: A Job Odyssey, p. 325).

Une guerre peut se solder par de nombreux décès et les forces militaires impliquées doivent connaître les groupes auxquels appartenaient les victimes (Function, p. 341).

La distinction entre plusieurs types est une classification théorique et souvent arbitraire. Par exemple, l'énorme quantité de livres dans une bibliothèque peut être catégorisée par taille ou couleur, même s'il est plus habituel d'opter pour un classement thématique. Cependant, même une sous-division par sujet s'avère tellement confuse que plusieurs systèmes de classification coexistent
(Your Friend, The Library, p. 400).

Dans WritÎng Without Words (p. 396), Stefanie Posavec analyse un roman de Jack Kerouac en divisant le texte en thèmes principaux. Influences of Edgar Allan Poe (p. 358) traite d'un sujet de nature historique, à savoir la place de Poe dans l'histoire de la littérature. Toutefois, la structure n'est qu'en partie chronologique; elle obéit surtout aux aspects littéraires de son oeuvre. Par ailleurs, tout l'attrait du blog This is Indexed (p. 380) de Jessica Hagy tient au fait qu'elle invente des catégories abstraites pour des problèmes quotidiens et les représente sous forme de diagrammes.

Ce chapitre rassemble également des œuvres combinant différents aspects d'un même sujet. De nombreuses infographies mettent plusieurs informations sur un pied d'égalité en les connectant par une structure partagée ou un symbole central (Digital Dump, p. 333 et Hamburgers: The Economy of America's Favorite Food, p. 346). Le chapitre retient aussi les créations qui marient plusieurs approches différentes. Flocking Diplomats NYC (p. 336) illustre une étude complète sur les infractions de stationnement des diplomates à New York en conjugant plusieurs types de présentation, telles que des chronologies, des cartes et des graphiques.

Les cartes heuristiques ont déjà été mentionnées dans la section Lieu. Ce chapitre contient des exemples sans référence à des images ou endroits réels. Par exemple, pour la représentation des disciplines scientifiques, la position sur le papier des mathématiques ou de la biologie est moins importante que les relations entre ces disciplines (Relationships Among Scientific Paradigms, p. 368). La situation est similaire pour les plans de métro modifiés, où chaque ligne correspond à une catégorie (Web Trend Map p. 388).

Les visualisations interactives permettent de catégoriser de grandes quantités de données. Jonathan Harris rassemble par exemple des déclarations faites sur des sites de rencontre en ligne (I Want You To Want Me, p. 352). La visualisation à l'écran permet aux utilisateurs de filtrer d'énormes volumes de données par âge, genre ou d'autres catégories.



wikileaks Irag War logs Kamel makhloufi

HIERARCHIE
Les éléments sont classés selon leur priorité


Les hiérarchies sont des organisations verticales. Les éléments sont triés par ordre d'importance, du plus grand au plus petit, du plus haut au plus bas, etc. Dans une hiérarchie linéaire, par exemple un classement, chaque élément possède un parent et un enfant, et le résultat est une séquence continue. Fast Faust (p. 424) présente la liste de tous les mots employés dans l'oeuvre Faust de Goethe, en fonction de leur fréquence d'apparition dans le texte. Super Vision Chart (pA51) montre à intervalles mathématiques réguliers les unités de longueur présentes dans l'univers, des plus petites unités subatomiques aux plus grandes.

Les hiérarchies illustrent des proportions, comme dans le typique camembert où les quantités apparaissent comme les tranches d'un cercle. L'omniprésence de ces diagrammes dans le monde des affaires et de la science a donné lieu à de nombreux commentaires ironiques (Faces Diagrams, pA21).

Toutefois, la présentation des données au moyen de champs de différentes tailles et couleurs reste la meilleure façon d'illustrer les proportions dans les infographies. Billion Dollar Gram (p. 411) représente les flux monétaires internationaux qui passent par divers canaux à l'aide d'une série de surfaces de couleur montrant visuellement l'ordre hiérarchique entre grand et petit.



Les hiérarchies ramifiées partent de l'élément le plus haut et se divisent en nombreux sous-éléments ; c'est par exemple le cas pour les grandes institutions (cf. Small Industries Development, p. 449). L'arborescence est une façon classique d'illustrer des hiérarchies ramifiées: de la racine, les éléments se divisent en un nombre croissant de sous-groupes. Cette image a souvent été employée pour décrire l'évolution des espèces, les arbres généalogiques étant un classique du genre. Dans Natural Sèlections (p. 435), l'arborescence sert à regrouper des logos d'animaux et de plantes utilisés par les éditeurs américains.

Les taxonomies traitent de domaines de connaissances entiers et représentent dans des diagrammes hiérarchiques une organisation continue du plus grand au plus petit. Par exemple, A Taxonomy of Complete World Knowledge (p. 408) organise toutes les connaissances (imaginaires) sur le monde de haut en bas dans une structure en arborescence. Taxonomy of Team Names (p. 453) place la racine commune au centre, et les sous-espèces partent d'elle pour former un cercle autour. Dans la taxonomie des types de bière, la catégorie la plus générique, « bière », se trouve au centre et sert de point de départ à tous les sous-groupes de bière classés (The Very Many Varieties of Beer, p. 464).

Les sites Web sont également organisés de façon hiérarchique. Le plan d'un site Internet contient toutes les pages individuelles dans une structure en arborescence. Dans le cas d'une plateforme Internet importante, comme Facebook, cette hiérarchie de pages est gigantesque et déroutante, et il est difficile d'y retrouver des pages concrètes. A Nightmare on Privacy Street (p.406) illustre comment la structure hiérarchique complexe d'un site Web dissimule les paramètres de vie privée et empêche les utilisateurs de les trouver facilement.


Alexandra Muresan