vendredi 11 septembre 2015

[topo ATC] Architectes Lacaton/Vassal

Les [topo ATC] sont des moments courts (1/4 d'heure) d'apports sur l'histoire des techniques, des arts et du design. Ces topos sont disséminés au gré des besoins initiés par les sujets.

De l'usage des usages
informations rassemblées par Marc Vayer
  1. L'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes (ENSAN) : valeur d'usage vs valeur d'image 
  2. Maison Latapie et maisons Coutras : l'usage des serres
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1. L'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes (ENSAN) : valeur d'usage vs valeur d'image  

« Valeur d’usage, valeur d’image » Valéry Didelon
revue criticat n°8 septembre 2011
à Propos de la conception et l’usage de l’école Supérieures Nationale d’Architecture de Nantes


Le texte de Valéry Didelon est l’occasion de nous intéresser aux apriori dans le cadre de la conception d’une architecture, mais aussi, d’un objet, d’un vêtement, d’une communication visuelle.
D’après Valéry Didelon, la projet de l’ENSAN, pourtant largement saluée comme une réussite, souffre d’un trop grand écart entre l’apriori de la possibilité d’une large flexibilité des usages et l’usage réel, soumis aux habitus étudiants, enseignants et administratifs.
Texte de présentation du projet des architectes Lacaton/Vassal (site web Lacaton/vassal)

2009. En construisant une structure de grande capacité, le projet invente un dispositif capable de créer un ensemble de situations riches et diverses, intéressant l’Ecole d’Architecture, la Ville et le paysage.
Trois planchers en béton, largement ouverts, à 9 m, 16 m et 22 m au-dessus du sol naturel, desservis par une rampe extérieure en pente douce, mettent progressivement en relation le sol de la Ville et son ciel.
Une structure légère re-divise la hauteur de ces niveaux principaux. Elle permet d’installer généreusement les espaces dédiés au programme et crée un système propre à leur extension et leur évolutivité future.
Aux espaces du programme sont associés d’amples volumes, en double hauteur, aux fonctions non attribuées, dont les façades transparentes captent les apports solaires et assurent le climat intérieur. A l’initiative des étudiants, des professeurs ou des invités ces espaces deviennent le lieu d’appropriations, d’événements et de programmations possibles. A tout moment l’adaptation de l’Ecole à de nouveaux enjeux et sa reconversion sont possibles.
Tel un outil pédagogique, le projet questionne le programme et les pratiques de l’Ecole d’architecture autant que les normes, les technologies ainsi que son propre processus d’élaboration.
Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal, architectes avec Florian De Pous, Frédéric Hérard,
et Julien Callot, Lisa Schmidt-Colinet, Isidora Meier, architectes collaborateurs
avec Setec Bâtiment (structure béton, fluides), CESMA (structure métallique), E2I (économie de la construction), Jourdan (acousticien), Vulcanéo (sécurité incendie)
Programme :
école d'architecture pour 1 000 étudiants
Surface :
26 837 m2 surface hors œuvre brute comprenant :
- 19 580 m2 surface hors œuvre nette (15 150 m2 correspondant au programme de base + 4 430 m2 d’espace supplémentaire appropriable)
- 5 305 m2 terrasses extérieures accessibles

Ici, les images du projet (site web Lacaton/Vassal)

Il existe aujourd’hui un assez large consensus autour de l’idée que les bâtiments — les logements, les bureaux, les équipements, etc — doivent être adaptables, flexibles et évolutifs. Si pendant de siècles, c’est la capacité à résister aux altérations et à incarner la stabilité sociale qui conférait à l’architecture sa grandeur, c’est désormais sa propension à se transformer à court, moyenne et long terme qui semble garantir sa durabilité. Pouvoir faire face à la mutation des programmes, aux évolutions rapides des modes d’habiter, aux pratiques imprévues de l’espace, est devenu en effet un gage de perénité pour la plupart des maîtres d’œuvre et d’ouvrage.
(…)
Si la flexibilité est effectivement une valeur dominante sur la scène architecturale contemporaine, ne faudrait-il pas alors questionner son efficacité réelle ?
(…)
Si finalement (au terme du concours) Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal remportent la compétition, c’est semble-t-il parce qu’ils proposent de construire 30% de surface de planchers de plus que ce qui était demandé, tout en restant dans les limites du budget imparti. Les deux architectes affirment à cette occasion qu’un bâtiment n’est vraiment flexible que lorsqu’il est (trop) grand. Ils assimilent la capacité de l’édifice à accueillir des usages changeant à la possibilité d’occuper librement des surfaces exédentaires et non programmées. C’est donc moins la qualité que la quantité des espaces qu’ils mettent en avant, une prise de position qui séduit le jury et pousse plus tard un certain nombre de commentateurs à parler de la nouvelle école d’architecture de Nantes en termes de « manifeste ».
(…)
Deux ans après l’ouverture de la nouvelle école d’architecture, on peut juger cette rhétorique sur pièces. Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, le ballet des usages tel qu’il a été imaginé prend très rarement le pas sur les activités routinières des étudiants, des enseignants et du personnel administratif.
(…)
ce qui apparaît clairement semestre après semestre, c’est que le discours sur l’appropriation de l’espace — dont la quantité est censé garantir la flexibilité — ne repose pas sur un analyse des usages réels, mais se fonde sur une idée préconçue et peut-être un peu na¨ve de ce qu’est le fonctionnement d’une école d’architecture.
(…)
C’est (…) par sa photogénie évidente que le bâtiment conçu par Lacaton/Vassal se distingue aujourd’hui, bien plus que pour un pouvoir de stimulation des usages qui reste encore largement à démontrer. Sa durabilité se jouera probablement sur ce terrain tant, ici comme ailleurs, la valeur d’image l’emporte finalement sur la valeur d’usage.


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2. Maison Latapie et maisons Coutras : les serres

Revenons aux origines du travail des architectes Lacaton/Vassal et à l''utilisation du système de serres pour compléter la réalisation de logements individuels.

Extrait d'un article du MONDE | 01.03.2006 Grégoire Allix

(...) Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, poètes du plastique et de la tôle ondulée. Dans le milieu de l'architecture branchée, on dit "les Lacaton-Vassal", avec de la sympathie souvent, de l'agacement parfois. On leur doit des maisons-cabanes, la rénovation a minima du Palais de Tokyo à Paris, des universités à Grenoble et à Bordeaux. A chaque fois, le duo crée sans tapage des espaces d'une sobre générosité avec des matériaux "pauvres".

Sortis il y a quelques lustres du vivier bordelais de l'agence Jacques Hondelatte, les deux jeunes quinquagénaires ont "désappris" leur métier lors d'un séjour de cinq ans au Niger. Et appris là-bas, au bord du Sahara, à "être pragmatique pour construire quelque chose de soigné quand il n'y a presque rien", résume Vassal.
Leur approche prend corps en 1993 avec le bâtiment qui les signale à l'attention du petit monde de l'architecture : la maison Latapie. Soit une habitation de 185 m2 pour une facture minime de 450 000 francs (68 000 euros), édifiée pour une famille modeste dans la banlieue de Bordeaux. Côté rue, c'est un bloc de fibrociment, dont on ne découvre pas tout de suite le subtil jeu d'ouvertures. Côté jardin, c'est une serre agricole en polycarbonate ondulé.
"Les systèmes constructifs industriels sont plus robustes et plus économiques, juge Jean-Philippe Vassal. Les bâtiments agricoles, notamment les serres horticoles, nous intéressent pour leur simplicité et parce que la température y est régulée naturellement. On y fait pousser des roses, bien plus fragiles que nous ; pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas y vivre ?" Va pour les hangars et les serres, références de bien des réalisations du couple, des maisons de Saint-Pardoux (Dordogne, 1997) et de Coutras (Gironde, 2000) aux logements sociaux de la Cité manifeste à Mulhouse (2005). Va aussi pour les roses, semées sur les façades de l'université de Bordeaux.
Le couple est pourtant trop consciencieux pour céder au procédé ou au maniérisme minimaliste. L'objectif est au contraire maximaliste : offrir pour le même prix plus de volume, de lumière et d'espaces sans attribution, à la manière des lofts. "Nous cherchons à dilater le logement en y faisant entrer l'extérieur grâce aux balcons, aux jardins d'hiver, à la transparence. La limite de la maison, c'est l'horizon qu'on voit par la fenêtre", prêche Anne Lacaton. 
Dans ce brouillage du dedans et du dehors, le verre et le polycarbonate jouent double jeu : tantôt porter la vue le plus loin possible, face à la mer ; tantôt envelopper l'habitat d'un jardin-bulle translucide, dans un environnement urbain.
A la modestie des moyens s'ajoute une discrétion dans l'intervention. Les Lacaton-Vassal se posent sur les sites sans en faire table rase. Au Cap-Ferret, en 1998, ils élèvent une maison sur une dune plantée de pins sans aplanir la première ni couper les seconds : la villa vitrée flotte sur pilotis et se laisse traverser par les arbres. La même logique bénéficie aux décors moins paradisiaques. Concrétisant un travail de réflexion sur la réhabilitation des grands ensembles, le couple s'apprête à rénover une triste tour au Bois-le-Prêtre (Paris-17e) en l'habillant de baies vitrées et en la doublant d'une ceinture de terrasses. "La récupération des matériaux est moins importante que la récupération des situations urbaines complexes dont nous héritons", estime Jean-Philippe Vassal. (...)
photos projet maison Latapie (site Lacaton/Vassal)


Inquiétant ready-made © Eric Lapierre pour matières, n°7, août 2004

(...) “ La question de l'usage est pour nous la question prioritaire ” Sur cet axiome se fonde l'approche “ économique ” de Lacaton et Vassal. Avec pour corollaire le désir d’éviter toute surdétermination formelle des bâtiments qui limiterait leur capacité d'appropriation: “ Notre souci est toujours de nous arrêter à un moment donné pour laisser la place à l'habitant ; c'est à lui de finir, d'occuper d'une façon qui n'est pas forcément celle qu'on avait imaginé. Dans la définition même des finitions, nous ne voulons pas aller trop loin dans l'expression ”. L’attention à l'usage induit une position de retrait dans la définition de la forme qui implique dans la conception des détails l'adoption de solutions simples et, sinon neutres, tout au moins non expressives. Une expression neutre signalerait une attention portée à la forme en elle-même que les architectes récusent : “ [...] on se fiche de l'aspect extérieur de nos bâtiments ”, affirme Jean-Philippe Vassal. Penser l'architecture à partir de l'usage conduit à poursuivre un confort qui confine au “ luxe ” : “ Notre ambition est de produire de la qualité, du luxe, en matière d'habitation,  dans le sens : qu'est ce qu'on peut produire qu'on n'imaginerait pas pouvoir se payer ? ”. Et le luxe c'est de pouvoir vivre dans de grandes surfaces thermiquement contrôlées. (...)
Ici, lire l'article complet (site Eric Lapierre)

photos projet Maison Coutras (site Lacaton/Vassal)