mardi 4 novembre 2014

[cabinet de curiosités] Sarah Sze & Thomas Hirschhorn

Sarah Sze

Fondation Cartier 1999
Offset 2005
Triple point 2013
Biennale de Venise 2013
Biennale de Venise 2013
Second Means of Egress (Yellow) 2003
du Site du MUDAM (Luxembourg)
Depuis une quinzaine d’années, l’artiste new-yorkaise Sarah Sze développe un travail d’une grande cohérence, qui a donné naissance à des installations fourmillant de détails et jouant avec la configuration spatiale. Ses œuvres, réalisées spécifiquement pour chacun des lieux où elles sont exposées, sont généralement composées d’une multitude d’objets de pacotille et d’usage courant, dont la sélection n’est nullement aléatoire mais effectuée au contraire avec une grande précision en fonction de leurs qualités formelles ou de leur polysémie.

Aux objets récupérés se mêlent de petites constructions faites à la main à partir de matériaux « pauvres », tels qu’allumettes, fils ou papier, qui, grâce à leur ordonnancement presque archivistique, dessinent dans l’espace les lignes d’une composition savamment élaborée.
Les travaux de Sarah Sze créent des univers ouverts, à la diversité encyclopédique et archéologique. Ils possèdent la précision des constructions architecturales, évoquent des compositions picturales par la subtilité des formes et des couleurs, jouent des mises en abyme à la façon des sculptures aux perspectives multiples et offrent une dimension quasiment musicale. L’artiste orchestre une multitude de détails, développe des thèmes musicaux complexes, accorde des mélodies visuelles à des contrepoints formels au sein d’une composition d’ensemble à la monumentalité éthérée. Elle conçoit des paysages de nature abstraite inspirés de l’art des jardins sino-japonais qui, malgré l’apparente absence de hiérarchie entre les éléments, parviennent à guider le regard et à créer des mises en scène.

Conçues fréquemment pour des lieux discrets comme des escaliers, des cagibis, des recoins ou des embrasures de fenêtres, parfois en suspens et toujours d’une légèreté ludique, les œuvres de Sarah Sze posent des questions générales sur le rapport d’échelle, le grand et le petit, le lourd et le léger, le lointain et le proche. Elles interrogent leur propre temporalité, le degré de complexité de leur production, ou leur fugacité. Dans certains cas, elles questionnent le lieu où elles sont exposées, l’espace - idéel et matériel - de l’art dans lequel l’observateur pénètre, la plupart du temps sans y prêter attention. Elles incitent finalement ce dernier à se plonger dans une intense activité de contemplation et exige même de lui une conscience aiguisée quant au positionnement de son regard. De la même manière que les structures sibyllines des installations de Sarah Sze pourraient dissimuler une représentation abstraite de sa personnalité, elles permettent chez l’observateur une prise de conscience de son propre regard et, par ce biais, de son être. Immenses maquettes scientifiques de microcosmes élégants et méditatifs, les travaux de Sarah Sze semblent commenter nos comportements et notre rapport au monde.
Sur le site de Sarah Sze, de nombreuses images de l'ensemble de ses installations, depuis son travail d'étudiante en 1997, jusqu'à la Biennale de Venise en 2013 : http://www.sarahsze.com/

Thomas Hirschhorn

Palais de Tokyo 2014

Palais de Tokyo 2014

Palais de Tokyo 2014


Du site du Palais de Tokyo, Paris.
Depuis sa « première exposition » à l’Hôpital Éphémère (1992), Thomas Hirschhorn (né en 1957, vit et travaille à Paris) a réalisé de nombreux projets marquants à Paris : Jeu de Paume (1994) ; « Swiss-Swiss Democracy » (Centre Culturel Suisse, 2004) ; « Musée Précaire Albinet » (2004)… Dix ans après « 24H Foucault », Thomas Hirschhorn revient au Palais de Tokyo pour présenter « Flamme éternelle ».

La plupart des œuvres de Thomas Hirschhorn jouent avec des formes familières et urbaines évoquant l’étal, le marché aux puces, le pamphlet ou sa forme placardée comme le dazibao de la Chine populaire. « Kiosques », «Monuments », « Autels », « Sculptures Directes » constituent une véritable typologie de dispositifs fonctionnels ou votifs. Les « Kiosques » sont inspirés des structures de propagande développées par le constructivisme russe, les «Monuments » rendent hommage à l’œuvre de penseurs (Spinoza, Bataille, Deleuze, Gramsci) et les « Autels » évoquent les commémorations urbaines spontanées. Si les « Sculptures Directes » sont habituellement installées dans les institutions, la première version s’est suggérée à l’artiste par le détournement de la Flamme de la liberté (quai de l’Alma, Paris) en autel votif consacré à la princesse Diana.
Du site du quotidien "Le Monde" à propos de l'exposition au Palis de Tokyo en lai 2014
Seul Thomas Hirschhorn pouvait imposer une telle révolution au Palais de Tokyo. Dicter sa loi, celle d'un certain chaos. Et convoquer, au rez-de-chaussée du centre d'art parisien, 16 500 pneus et 180 penseurs. Equation incongrue, à laquelle s'ajoutent quelques braseros : le genre d'ustensiles que n'apprécient guère les institutions culturelles. Pas peur de mettre le feu : le célèbre plasticien helvéto-parisien, qui représenta son pays d'origine à la Biennale de Venise 2011, est un bagarreur, autant qu'un rhéteur. Une « Flamme éternelle » l'anime, comme le suggère le titre de son exposition.
Enfin, exposition… Le terme ne convient guère à ce paysage évoquant l'émeute autant que le garage de pays lointain, l'agora foutraque et l'atelier constellé de Scotch (une de ses marques de fabrique). Des milliers de pneus, donc, qui rappellent « toutes les barricades, la place Maïdan , mais aussi l'invention de la roue, le déchet à recycler. Comme le Scotch, cette matière très riche me plaît par son côté universel, non intimidant ». Superposés, balancés, détournés, ils structurent l'espace en différentes « salles et accueillent l'essentiel : ces poètes, philosophes, écrivains, que Hirschhorn convie chaque jour à partager avec le public. Sous quelle forme ? Il n'a rien planifié, certain que ce chaos donnera naissance à des instants de grâce. « J'ai simplement créé un récipient, une situation qui invite les autres à être présents et donne envie d'être actif avec sa pensée », ...
Thomas Hirschhorn musée précaire Albinet
Thomas Hirschhorn musée précaire Albinet
Thomas Hirschhorn musée précaire Albinet
Du site critique d'art / revues / : http://critiquedart.revues.org/1277
Entre avril et juin 2004 s’est ouvert, rue Albinet à Aubervilliers, sous l’impulsion conjuguée de Thomas Hirschhorn et des Laboratoires d’Aubervilliers un musée pour le moins inhabituel, dont la vocation fut de « faire exister l’art au-delà des espaces qui lui sont consacrés ». Ce musée prit d’autant plus de poids pour Hirschhorn qu’il a installé en 2001 son atelier dans une rue voisine. D’autre part cette nouvelle réalisation s’inscrit comme le prolongement du Deleuze Monument présenté à Avignon et qui fut victime de vandalisme.
Réponse à l’invitation consistant à réaliser une œuvre dans l’espace public, ce projet – apparemment aussi utopique que risqué – fut un véritable défi collectif à même de toucher un public habituellement laissé en marge de la fréquentation des œuvres. Durant trois mois, des cimaises de fortune présentèrent un aperçu de l’art du XXe siècle au travers de quelques artistes incontournables : Marcel Duchamp, Kasimir Malevitch, Piet Mondrian, Salvador Dalí, Joseph Beuys, Le Corbusier, Andy Warhol et Fernand Léger. Pour donner un poids véritable à cette démarche, il importait d’amener dans ce quartier pauvre non pas des reproductions mais les œuvres originales elles mêmes et de les confier le plus largement possible à la population locale.
Pour ce faire, gardiennage, montage, démontage et animation du lieu furent confiés à des jeunes recrutés sur place et formés à cet effet. Le challenge consistait donc à faire quitter à certains trésors de l’art contemporain leur écrin doré pour une structure de bric et de broc installée sur une friche urbaine. En guise de salle d’exposition un Algeco agrémenté de constructions légères pour accueillir la bibliothèque et la salle de conférences, débats et autres ateliers qui ponctuèrent ces trois mois. Tout dans cette réalisation ramène à une économie radicale de la précarité, l’utilisation de matériaux pauvres : bois, plastique d’emballage, carton, scotch, photocopies, inscriptions aux marqueurs sont autant de signes de la fragilité et de la dimension éphémère du lieu. Par le biais d’appels à la mobilisation des structures locales et la sollicitation des bonnes volontés disponibles, la pertinence de ce projet réside dans la démonstration que l’art est une véritable force transformatrice, que cela soit en ouvrant pour la première fois la porte d’un musée à certains ou en offrant une formation à d’autres.